« L’argent ! Oui l’argent ! Cette invention de l’être humain : parfois responsable de grands bonheurs, mais le plus souvent coupable des plus grands malheurs ! » citation tirée de mon premier roman Vies croisées à contretemps
Ah ! Nous voici à la section la plus dangereuse peut-être, la plus sujette aux cris, aux disputes, aux foires d’empoigne. L’endroit où les hypocrites règnent en maîtres et s’arrangent entre eux pour faire taire ceux qui refusent de choisir un camp. Car il y en a qui veulent absolument entendre : « L’argent c’est le mal ! » D’autres : « L’argent c’est le bien ! » Et vous, si par mégarde vous avancez que l’argent est les deux, alors vous devenez suspect. On vous regarde comme un hérétique. L’argent, c’est Dieu et le Diable réunis dans la même caisse enregistreuse.
L’argent… Lorsque l’on en manque, on n’a peur de rien et surtout pas des crédits à rallonge ; de véritables Dartagnan, Zorro et Rambo de la consommation. Il suffit qu’une voiture tombe en panne, qu’un désir surgisse, et hop : un crédit pour la remplacer, et un deuxième, un troisième pour nous gaver de nos désirs. Quand on manque d’argent, on apprend très vite à vivre avec des échéances comme d’autres vivent avec un souffle au cœur. On s’habitue. Mal, mais on s’habitue.
Et puis il y a les autres : ceux qui, par des rendez-vous naturels avec la vie et – avec la mort, ou par un coup de chance, se retrouvent du jour au lendemain avec un petit magot. Eux, curieusement, ne remplacent presque jamais plus leur voiture et se mettent à fuir leurs désirs qu’ils voient comme des épouvantails. Ils fuient les crédits comme on fuit un chien enragé. Ils ont connu la peur du découvert et ils ne veulent plus jamais revoir le moindre centime leur être enlevé. L’argent, quand il arrive, leur rappelle celui qu’il n’avait pas. Et cela suffit à les transformer en gardiens du temple.
Je sais de quoi je parle : j’ai passé trente ans à mon compte, trente ans à enchaîner les vaches maigres, les coups durs, les fins de mois où le banquier connaissait mon numéro par cœur. Et moi le sien. J’ai connu les appels où sa voix devenait soudain très polie, trop polie : mauvais signe. J’ai connu les jours où je l’appelais, penaud, pour demander l’autorisation d’exploser un découvert déjà énorme. Pour faire les salaires de tous. Pour tenir encore une semaine, un mois.
Voilà ce que c’est l’argent : une guerre sans fusils, mais avec des blessés, et parfois des morts.
L’argent, ça change les gens. Pas toujours brutalement, mais sûrement. Certains deviennent généreux, presque trop, comme s’ils voulaient acheter une certaine paix intérieure. D’autres se referment aussitôt : ils serrent, ils comptent, ils surveillent, ils protègent. Et puis il y a les rares – très rares – qui ne changent pas du tout. Ceux-là, on peut les ranger dans la catégorie des exceptions naturelles, comme les météorites qui tombent dans le bon jardin.
L’argent révèle beaucoup de nos invisibles. Donnez à quelqu’un la nouvelle qu’un proche a soudain gagné un peu d’argent, et observez. Les sourires s’étirent au-delà du raisonnable. Les poignées de main durent trop longtemps. Les voix deviennent mielleuses. On vous demande « comment vous allez » avec une chaleur inconnue la veille. « Comment allez-vous ? » nous disent alors nos banquiers, prêts à nous faire la bise en dégainant les meilleurs taux d’intérêt qu’hier encore ils nous cachaient… Tout change. Soudain, tout le monde veut vous redécouvrir… vous jalouser, vous détester, et vous aimer.
L’argent, c’est un projecteur : il éclaire des coins qu’on aurait préféré garder dans l’ombre.
On dit souvent que l’argent divise les familles. Non : il révèle ce qu’elles cachaient. Il suffit d’un héritage pour déclencher une tempête. Une montre, un terrain, trois meubles vermoulus… et voilà des frères qui ne se parlent plus, des sœurs qui comptent des centimes comme s’il s’agissait d’un trésor national.
Et le couple ? Ah, le couple ! Deux personnes qui « s’aiment » peuvent s’écorcher pour cent euros. Deux personnes qui ne « s’aiment plus » peuvent rester ensemble pour mille. L’argent est un troisième partenaire. Parfois discret, parfois encombrant, toujours tyrannique.
Et puis il y a l’État. Lui, il fait ce qu’il sait faire : il prend. Sans honte, sans gêne, sans trembler. Vous avez réussi un peu ? Il vous taxe. Vous avez économisé ? Il vous retaxe. Vous n’avez rien ? Là, au moins, il vous laisse respirer… un peu. Mais pas trop longtemps. L’État est un voleur légal, le plus habile des gougnafiers.
Les banques, elles, ne sont pas en reste. Elles vous prêtent quand vous n’en avez pas besoin et vous ferment la porte quand vous êtes à terre. Elles inventent des frais mystérieux, des « incidents techniques » facturés trois euros cinquante pour une erreur algorithmique. Quand vous êtes dans la difficulté, elles deviennent des machines à vous rappeler que vous l’êtes. Chef d’entreprise, j’ai eu plus d’une fois l’impression de négocier ma survie avec quelqu’un qui n’en avait strictement rien à faire.
Et malgré tout cela, on fait semblant. On parle de tout : des maladies, des douleurs, des amours ratés. Mais parler d’argent ? Malheureux ! Tabou absolu. On préfère encore avouer une faute grave que dire franchement ce que l’on gagne ou ce qu’on doit. C’est étrange : l’argent est partout, mais il ne faut pas en parler. Un secret collectif.
Pourtant, l’argent est devenu la grande religion moderne. Il a ses prêtres (les financiers), ses temples (les banques), ses miracles (les gains inattendus), ses damnations (les dettes), ses martyrs (les entrepreneurs qui tombent), ses croyants, ses rites, ses lois.
Et il promet le salut : la sécurité.
Une sécurité illusoire, mais tellement confortable que même ceux qui le savent continuent d’y croire.
L’argent ne fabrique rien : il révèle. Il met en lumière les peurs, les envies, les faiblesses. Il grossit ce que l’on est déjà. Il montre sans pitié ce que la morale recouvrait d’un drap propre. Et c’est pour cela qu’il est si difficile d’en parler. Parce qu’en parlant de l’argent, on parle de soi. Et personne n’aime être mis à nu.
Crédit images Pixabay
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